Enys Men
avec Mary Woodvine, Edward Rowe, Flo Crowe
Royaume-Uni - 2024 - 1H31 - VOSTF
Sur une île inhabitée des Cornouailles, une bénévole passionnée de vie sauvage se livre à des observations quotidiennes sur une fleur rare. Sa vie est hypnotique dans sa monotonie, elle répète les mêmes gestes jour après jour, comme un rituel. Au fur et à mesure, des sons et des images provenant d'autres temporalités commencent à s'infiltrer, perturbant progressivement son équilibre.
« Une femme, une île déserte, et presque pas de dialogues : on pourrait croire que le minimalisme apparent d’Enys Men serait synonyme de limpidité. Après tout, que peut-il bien arriver de complexe avec un postulat de départ aussi nu ? On est ravi d’avoir tort car, par le tour de magie de mise en scène, Mark Jenkin parvient au contraire à faire monter en neige sur ce minuscule récif une dimension énigmatique proprement fascinante. Enys Men signifie île rocheuse en cornique, la langue celtique parlée dans la région des Cornouailles. On ignore si c’est bel et bien le nom de l’îlot où se déroule le film, mais à vrai dire on ignore tout autant tout le reste : le nom de cette femme, la nature exacte de ses recherches botaniques, la date exacte où tout ceci se déroule. Cette absence délibérée de réponses est contrebalancée par une mise en scène hallucinée, à mi-chemin entre le bucolique et la terreur, capable de transformer la moindre promenade en bord de mer et rituel surnaturel, le moindre vêtement rouge en spectre de Nicolas Roeg, le moindre tas de cailloux en monolithe kubrickien. Dans son premier film, le fascinant Bait (passé au Festival de La Roche-sur-Yon), le cinéaste britannique Mark Jenkin faisait déjà preuve d’une incroyable inventivité visuelle : images vieillies et retravaillées artificiellement, montage à la poésie brute, paysage sonore méticuleux aux reliefs inattendus. On la retrouve ici dans toute sa singularité, mais elle n’est plus utilisée comme contrepoint à un récit ancré socialement (tradition et modernité dans un port de pêche). Dans Enys Men, Jenkin largue encore davantage les amarres du réel, utilisant et redistribuant avec un appétit contagieux les éléments de la folk horror. Enys Men est un long métrage trop unique pour qu’on puisse l’accuser de suivre des recettes, surtout celles des autres. Au-delà des échos cinéphiles que l’on peut s’amuser à glaner ça et là (comme l’héroïne qui semble voyager dans le temps à mesure qu’elle cueille des fleurs), le film fait preuve d’une absence de concessions admirable, d’une réelle radicalité dans sa manière de privilégier une mise en scène sensorielle et intense à un récit convenu. A rebours de toute classification évidente, Enys Men est un voyage hypnotisant, une œuvre brève et stupéfiante comme une éclipse. » Le Polyester